Un incident tellement habituel…

Jeudi 26 avril 2018

J’ai demandé l’assistance pour les personnes à mobilité réduite, comme à chaque fois que je prends l’avion. J’ ai pris cette habitude à force de me déplacer sur des vols low cost réguliers. Ce n’est pas vraiment que ma mobilité soit réduite à proprement parler. Mais le manque de vision rend cette aide humaine nécessaire, pour parcourir l’aéroport sans me perdre.

C’est extrêmement pratique. On vous récupère à un point A – l’enregistrement par exemple – pour vous emmener jusqu’à un point B : à l’intérieur de l’avion, jusqu’à votre place assise. Le code très secret pour en bénéficier, c’est « BLIND » ; simple et efficace !

En général, je passe la porte d’embarquement comme passager prioritaire, en doublant toute la file d’attente, mené par mon assistant et sa veste jaune fluo, mais pas cette fois-ci. En effet, cette fois, j’ai attendu, sans trouver le temps trop long, que le reste des passagers investisse l’appareil pour passer à mon tour. Du coup, tout le monde était déjà assis à sa place lorsque je suis monté à bord. Impossible de passer inaperçu. La canne à la main et les couleurs fluo de mon guide allemand qui écartait le monde sur notre passage n’ont pas pu me permettre la discrétion. Bref, je suis signalé.

En essayant de m’orienter pour trouver mon siège, j’ai maladroitement laissé traîner mes doigts sur le crâne de mon voisin de devant, au lieu d’attraper son siège. Quelques excuses confuses et de brèves salutations polies plus tard, je suis assis à ma place dans le Boeing, qui me ramènera sur Paris Orly depuis Hambourg. Avec ces satanées grèves, j’ai déjà raté deux vols pour rentrer chez moi.

Je m’installe en silence. Je replie ma canne tranquillement, retire ma veste sans plus d’attention à mon entourage, sans dire un mot. Je ne suis pas trop du genre à « tailler la bavette » avec mes voisins éphémères. Le jeune homme à ma droite non plus. Il est poli, discret et aussi silencieux que moi. Ce n’est pas pour me déplaire. Au son des quelques mots qu’il a prononcés, il doit avoir une petite trentaine d’années, pas plus.

Je ne m’avise plus d’essayer de distinguer les traits des inconnus assis à côté de moi. Le manque de vue m’oblige sinon à les fixer exagérément. Ce qui est inconvenant et peut mettre mal à l’aise. Je n’arriverais pas à me faire une image de ce à quoi ils ressemblent de toutes les façons. Alors je m’abstiens et n’essaie pas de les regarder ou de chercher leurs yeux.

Contrairement au jeune homme à ma droite, mon autre voisine, celle de gauche, est moins discrète. Elle me tourne le dos pour converser avec ce qui semble être une connaissance de longue date, qu’elle vient de croiser par hasard. Elle parle assez fort, de sorte que tout le monde peut en profiter étant donné l’exigüité de l’habitacle.

Au son de sa voix, elle doit avoir une cinquantaine d’années. Elle dit vivre et travailler en Allemagne. Mais elle rentre en France pour l’anniversaire de son fils qui fête justement ses 30 ans aujourd’hui… Il vient de se marier et sa femme bla bla bla…

Ça ne m’intéresse pas vraiment, alors je décroche et sa voix disparaît peu à peu, au rythme de ma plongée vers les tréfonds de mon imagination, alimentée par le livre ouvert sur mes genoux. Il s’agit du premier Tome de la saga « Game Of Thrones, Le Trône de Fer ». Je suis en train de relire à nouveau les cinq premiers volumes, en attendant que Georges R.R. Martin finisse par nous « pondre » le sixième et que les auteurs de la série nous proposent la huitième et dernière saison.

J’en suis au début de l’histoire. Jon Snow, qui est allé rejoindre Le Mur dans le Nord, découvre l’âpreté d’une vie austère, auprès de ses nouveaux frères : les chevaliers de la Garde de Nuit…

Je suis concentré et ne fais plus du tout attention à ma voisine qui vient certainement de boucler sa ceinture.  Les moteurs de l’avion ne vrombissent pas encore pour annoncer le décollage. Nous sommes terriblement en retard. Cependant, les vibrations des moteurs de l’appareil à l’arrêt me bercent dans un petit brouhaha qui ne m’empêche pas de poursuivre ma lente lecture.

Et soudain, un peu comme si elle venait de me choper la main dans son sac, ma voisine s’adresse à moi sans autre forme de procès et me tire de ma rêverie en s’exclamant encore plus fort que lorsqu’elle s’adressait à sa copine :

«  Hey vous ! Mais vous lisez ! »

La surprise ne me laisse pas le temps de m’agacer. Alors, je lui réponds du tac au tac sans vraiment réfléchir :

« Hé oui ! Je lis ! Je ne suis pas encore aveugle, pas encore… »

Et la dame de retomber dans un silence méditatif  ou perplexe qui durera tout le trajet. Elle s’était exprimée sans même prendre le temps de s’adresser à moi avant pour essayer de comprendre. Je lui aurais calmement expliqué, comme je le fais souvent.

Mais au lieu de cela, elle s’était exprimée à la va-vite. Et à travers cette exclamation, moi j’avais entendu :

« Hey vous ! Mais vous fraudez ! ».

Un peu comme si elle ne pouvait associer la canne blanche et la lecture et que mon livre était la preuve de mon imposture. En effet le monde du handicap visuel est si mal connu que les gens, dans leur vision dichotomique du monde en noir ou blanc, ne peuvent s’imaginer les différentes teintes et déclinaisons de gris engendrées par la perte de la vision.

Je partage cette petite anecdote avec vous, car c’est l’une des centaines ou des milliers de fois où la méconnaissance provoque une situation incongrue. Parfois ces comportements vont plus loin et sont vécus comme blessants, voire cruels. Cette fois-ci c’était assez « cocasse ». Mais cette petite histoire vient relancer un fait qui a eu lieu sur les réseaux sociaux, il y a quelques jours.

La page « Humour du Net » a publié la photo d’un homme déficient visuel assis et tenant sa canne blanche d’un côté et son portable de l’autre. Et l’auteur de ce post a sous-entendu que cette personne était un imposteur, lui-aussi. Le nombre de réactions et de commentaires suite à la publication de cette photo, montre encore une fois qu’il y a toujours une grande méconnaissance du sujet. (Cliquez sur cette phrase pour consulter l´article…)

Et c’est à nous, personnes handicapées visuelles et/ou concernées, d’informer et de sensibiliser.

C’est pour cette raison que François de l’association Rétine Active, a pris l’initiative de récolter les photos en format paysage du plus grand nombre possible de personnes déficientes visuelles avec leur canne, en pleine lecture, ou avec leur portable à la main, afin de réaliser un vidéo-montage de sensibilisation.

Si vous êtes DV et que cela vous intéresse, contactez François Duvauchelle ici Cisco Vaudu et envoyez-lui votre cliché, afin de l’ajouter à ceux déjà récoltés.

L’association SJKB soutient cette idée !

 

Notre association, le SJKB, soutient les personnes handicapées visuelles et les différents acteurs du monde de la déficience visuelle, dans un esprit fédérateur.

Elle fait aussi la promotion de deux projets extraordinaires :

  1. Le projet Uyuni d´Alban Tessier : un homme de 40 ans, atteint d´une rétinite pigmentaire à un stade avancé se prépare à traverser seul, à pied, en totale autonomie et à plus de 4 000 m d´altitude, le plus vaste désert de sel du monde. Découvrez ce projet hors du commun, partagez et likez pour soutenir !
  2. Le projet de Jean-Marie Florent : un ancien champion cycliste Handisport, non-voyant, car atteint d´une rétinite pigmentaire, décide à 46 ans de se lancer un nouveau défi sportif un peu fou, une aventure hors normes …Il est décidé et parti pour battre le record de la traversée Saint Tropez – Calvi en jet ski détenu par Alexandre Debanne ! Vous aussi, soutenez-le, partagez sa page et likez-la !


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Occasionnellement, ce

 

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